La Bibliothèque de l'université de Tours possède, depuis 1965, sous la dénomination de Fonds Brunot, la collection de livres du grammairien Ferdinand Brunot (1860-1938), premier professeur d'histoire de la langue française à la Sorbonne de 1900 à 1934.
A la base de cette collection se trouve la bibliothèque d'un Tourangeau, Charles-Louis Livet (1828-1897), spécialiste du XVIIème siècle français, à qui l'on doit de nombreuses études sur Molière, les précieuses, les grammairiens français du XVIème siècle, les langues romanes. Charles-Louis Livet eut des carrières diverses : administration préfectorale, inspection des écoles d'arts et métiers (1870), inspection des Eaux de Vichy (1874).
Brunot, qui parlait de "mon maître Livet" devint possesseur, vers 1900, de cette bibliothèque qui contenait bien des trésors dans les domaines cités. Il l'augmenta considérablement jusqu'à son décès. André Brunot, fils de Ferdinand, décida de vendre cette collection à l'académie d'Orléans pour la somme de 150 000 F, prix presque dérisoire si l'on considère la valeur de ce fonds. Ainsi furent respectés les voeux du grand grammairien qui désirait que sa bibliothèque ne fût pas dispersée et restât en France. Elle constitua le premier fonds de la bibliothèque du Collège littéraire universitaire de l'université d'Orléans-Tours, devenu ensuite Faculté des Lettres de l'université de Tours. Opérations financières, déménagements, désinfection s'échelonnèrent de 1964 à 1965.
Le fonds se compose de 14 333 documents, ainsi répartis : 2 incunables, 145 livres du XVIème siècle (représentant 166 titres), 2675 du XVIIème et du XVIIIème siècle, 7407 des XIXème et XXème siècle ; 973 numéros de périodiques ; 3097 brochures ; 34 manuscrits.
On peut noter trois grandes caractéristiques de la composition de cette bibliothèque :
- l'importance des ouvrages pédagogiques d'enseignement des langues
- l'extrême abondance des ouvrages de grammaire, de lexicologie, provenant aussi bien de l'apport de Livet que de celui de Brunot. Tous deux se sont occupés d'histoire de la langue française et cela explique l'incomparable collection présentée ici. Pour les XVIème, XVIIIème siècle, on pourra y trouver, outre les grammaires françaises, un nombre très important de grammaires et de dictionnaires allemands, latins, espagnols, italiens (16 dictionnaires latins, 12 grammaires françaises). Toutes les grammaires françaises du XVIème siècle sont là. On trouve aussi des manuels de conversation, excessivement rares, uniques même pour le XVIème siècle. En outre, pour le XIXème siècle, existent de nombreux dictionnaires et grammaires de langues moins importantes, ou courantes, de dialectes ou de patois (russe, limousin, rouchi, wallon, etc...).
- l'important fonds littéraire et historique, dû surtout à Charles-Louis Livet. Ce sont les éditions de Molière et de ses contemporains par Livet et ses collègues ou amis, dont Prosper Blanchemain, (Bibliothèques gauloise, elzevirienne, surannée, etc...) - éditions peut-être démodées maintenant, mais traduisant l'extrême activité de la recherche littéraire au XIXème siècle. Dans cet ordre d'idées, on trouve un recueil de mazarinades, un atlas factice composé de splendides cartes coloriées des XVIIème et XVIIIème siècles.
Si la partie du fonds provenant de Livet est, dans l'ensemble, historique et littéraire, il n'en est pas de même de l'apport de Brunot qui rassembla toutes sortes de documents formant un ensemble assez hétéroclite : médecine, droit, voyages, aussi bien dans les ouvrages modernes (de Fouilloux) que dans les anciens (Cardano, Cimber, Guy de Chauliac, Ambroise Paré, Barrême, Piganiol de la Force, etc...). Mais ces livres si divers n'ont pas été rassemblés par hasard. Brunot, pour l'Histoire de la langue française et ses divers ouvrages, avait besoin de pouvoir trouver des mots et de les dater - surtout le vocabulaire des arts et métiers. C'est pourquoi on trouve dans ce fonds tant de dictionnaires spécialisés (marine, eaux et forêts, etc.).
Le Fonds Brunot est, à l'évidence, un ouvrage de travail constitué par un grammairien et historien de la langue pour son usage - et à partir de l'apport d'un autre grammairien et historien - de la littérature. C'est ce qui le rend si précieux, indispensable aux chercheurs dans ce domaine.
Mais il n'est pas une collection bibliophilique. Il n'y aucune reliure rare. Les grands titres de l'histoire du livre n'y figurent pas. Brunot n'achetait pas les ouvrages de ses contemporains (roman et poésie). Les manuscrits n'ont guère d'intérêt. Sa valeur incontestable est le groupement d'ouvrages spécialisés (grammaires, dictionnaires, enseignement) excessivement rares, parfois uniques (le "Catholicon abbreviatum", incunable ou le Manuel de conversation intitulé "Colloquia cum dictionariolo sex linguarum..." 1583).