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A la rencontre de Fernando Guerrieri

Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Fernando Guerrieri, je suis né en Argentine, à Buenos Aires, dans une famille aux héritages italiens, syriens, et arméniens. J’y ai grandi et y ai fait mes études, un équivalent de master en sciences biologiques. J’ai ensuite fait mon doctorat en France, à Toulouse, des post-doctorats au Danemark, en France, en Allemagne, et depuis 2011, je suis maître de conférences [en biologie et écologie des organismes] à l'université de Tours.

Y’a-t-il un évènement marquant, d'égalité ou d'inégalité, que vous avez pu vivre ou être témoin dans votre vie professionnelle ?
Niveau inégalité, oui, le traitement des personnes homosexuelles par exemple. Moi, je suis gay et il existe de grandes inégalités pour toutes les personnes qui ne sont pas des hommes hétérosexuels, qui eux sont plus favorisés. Il y a beaucoup de problèmes autour du genre, c'est un toujours une source de difficultés pour les femmes, même s’il y a un peu de progrès.
Niveau égalité, je peux dire que le fait d'avoir une éducation publique gratuite et laïque m'a beaucoup aidé. Cela fait sortir les gens des noyaux de la famille et leur fait se rendre compte qu’il y’a d’autres réalités : l’éducation publique permet d’accéder à d’autres éléments, qui m’ont permis justement de sortir vers l’avant et acquérir une éducation, une formation. Mon identité comme argentin, je l'ai formée grâce à l'éducation publique, en intégrant aussi les origines de ma famille.

Quel était votre métier de rêve quand vous étiez enfant ?
Je suis très ennuyant parce que je voulais être biologiste depuis mes 14 ans au moins. J’aimais les animaux : d’abord j’ai voulu être vétérinaire, je ne connaissais pas trop les professions. Après, j'ai su qu'existait la biologie, qu'on pouvait étudier l'évolution, la conservation de l'environnement : les sujets comme ça, ça m'a toujours touché. J’avais ce projet et je l’ai accompli. J’avais aussi le rêve de voyager, et je le fais aussi, je suis content.
Adolescent, je m’intéressais aussi à la question des droits humains. La démocratie en Argentine est venue quand j'avais 11 ans, et c'est à partir de ce moment-là qu'on a beaucoup parlé du sujet, et donc ça m'a toujours ému et motivé. Je me suis engagé dans ces sujets, à différents niveaux selon les moments, mais c'est quelque chose qui m'a toujours attiré et que je poursuis encore aujourd’hui.

Est-ce que vous constatez une évolution de l'égalité dans l'enseignement supérieur ?
Je vois que chez les jeunes, il semble y avoir moins de préjugés. Je le vois chez les étudiants qui montrent clairement qui ils ou elles sont. Je pense qu’il y a un intérêt pour plus d'égalité. Au moins, il y a un soin de ça : ce n'est pas quelque chose qui s'est obtenu gratuitement, ce n’est pas spontané. C'est le fruit de luttes : de la lutte des femmes, de la lutte des personnes LGBT pour être reconnues et visibles notamment, c'est quelque chose qui nécessite beaucoup d'engagement et d'activité. C’est déjà une forte inégalité que de devoir se battre constamment.
Je pense qu'il reste beaucoup à faire encore, car y a aussi un rejet de cette lutte pour l'égalité. Il y a surtout plus de conscience que l'égalité pourrait, devrait exister même si quelques-uns résistent. Il y a des personnes qui ne sont pas trop touchées peut-être aussi, par leur situation faite de privilèges. Et parfois, même par inconscience, par omission, ils ne se rendent pas compte de certaines maltraitances, de certaines difficultés. Et parfois, ils refusent de se rendre compte.

Sur cette évolution, indépendamment du sens, même constat en Argentine ?
Je vivais en Argentine il y a plus de 20 ans et quand j'étais étudiant, une personne qui était LGBT, n'allait pas le dire ouvertement parce qu’elle risquait de ne pas avoir un travail après. Donc on avait ce type de difficultés. Maintenant, en y retournant quelques années après, les profs et les étudiants d’aujourd’hui le revendiquent publiquement, il y a aussi des commissions sur le genre, des travaux qui se font notamment sur le langage inclusif… à l’échelle du petit monde de la faculté de sciences où j'étais, ça avance beaucoup.
Dans la vie quotidienne aussi, je peux dire qu'il y a beaucoup d'avancées, comme en France aussi, comme en Europe en général. Il reste beaucoup à faire, mais oui, les sociétés ont beaucoup avancé, je suis content de ça.

Avez-vous des pistes pour accompagner cette évolution à votre échelle ?
En France, il y a une obsession avec les mentions genrées des personnes, avec les civilités. J'ai vu que les plateformes nouvelles de l'université ne mettent plus Madame/Monsieur, et c'est bien, je trouve qu’on n’en a pas besoin. C'est une information qui ne nous dit rien : ce qui se fait beaucoup dans d'autres pays, dans le monde entier, c’est bien plus d’utiliser le prénom. C’est beaucoup plus pratique, ça évite toute imposition d’identité, de genre, toute projection qu’on pourrait ne pas vouloir recevoir. J'essaie d'éviter ces dénominations, parce qu'on a des étudiants, des étudiantes qui sont parfois transgenres, parfois non-binaires, et donc si on doit imposer à quelqu'un une manière de la nommer, ça va la faire se sentir mal, et moi aussi car je serais en train de ne pas identifier correctement mon interlocuteur ou interlocutrice.

Comment vous appropriez-vous ces sujets d’égalité, inégalité dans votre pratique d’enseignement et de recherche ?
L'université a été créée pour questionner la société, à Bologne, au Moyen Âge, à Paris par la suite. La société se structure d’une certaine manière : d’autres sont-elles possibles ? C’est un débat intellectuel que les universités permettent : comment questionner, comment réagir aux choses qui nous entourent ? On n’est pas que sur de l’instruction, mais bien de l’éducation, pour apprendre à connaître les réalités. Si on doit enseigner quelque chose, on travaille avec d'autres collègues qui ont leur vie aussi, leurs questions, difficultés, capacités. Donc d'un côté on doit échanger entre nous, mais aussi avec les étudiants, qui sont des personnes adultes à qui on transmet des outils : on échange entre égaux.
Au niveau de mes cours, je profite du fait que la Biologie est diverse : j’enseigne la diversité du vivant, alors on aborde les questions des sexualités, j’invite à refléchir sur le lien entre sexualités et genre, qui est un concept de sciences sociales [non applicable aux animaux non-humains].Les sexualités comme comportements observables et de comment elles sont diverses dans la nature.
Or, la diversité, c'est l’un des moteurs de l'évolution et aussi son résultat : j’essaie beaucoup d’enseigner cette idée que la vie n'est pas hiérarchique, qu’il n’y a pas de catégorie fixe. C'est difficile parce que je vois que pour plusieurs personnes, ce n’est pas simple d’incorporer ces concepts, mais ça ouvre la porte à l’échange. J’ai eu des étudiants qui ont eu confiance pour me partager des questions, des commentaires, des difficultés qu’ils avaient dans leur vie ou au niveau des familles. Être à l'écoute de personnes qui en ont besoin, les orienter vers les services compétents à l’université, c’est un rôle important à porter, à créer par les enseignants.

Comment encourageriez-vous les personnes qui sont minorisées, qui sont victimes d'inégalités, de discrimination dans leur projet professionnel ?
C'est plus difficile parce qu'il faut dépasser des pressions et des oppressions qu'on peut avoir au niveau famille, société si on est une femme, une personne LGBTIQ, une personne qui ne rentre pas dans les cases dominantes. On nous assigne des rôles, on nous dit ce qu'on doit être, ou que ci ou ça n'est pas pour nous, c’est difficile. Mais si on sent parfois que tel ou tel va être plus difficile, il ne faut pas forcément se laisser arrêter, et il ne faut surtout ne jamais avoir honte de qui on est. Il faut aussi encourager à ce que tout le monde se soutienne mutuellement

Que diriez-vous à l’enfant que vous étiez ?
Il y avait un article littéraire qui s'appelait « le chef et les employés » où l’auteur (NB : Hernán Casciari) et son collègue ami d’enfance revenaient comme enfants à se rencontrer comme adulte. Et ils disaient que les enfants étaient les chefs des adultes qu'ils étaient devenus : les enfants leur avaient ordonné de ne pas les décevoir quelques années après, et finalement ils disaient que c’était réussi, les enfants n’étaient pas déçus. Je pense que je me vois un peu de la même manière.
J'assume mes choix, mes erreurs, je ferais peut-être certaines choses autrement, mais je suis content dans le sens où j'ai construit une vie intéressante, et je n'ai pas renoncé à mes principes. Bien sûr, la manière de penser change, évolue avec la vie, mes opinions et avis ne sont pas complètement les mêmes qu’il y a quelques années : la situation dans le monde a aussi changé, il ne faut pas rester dogmatique. Mais les principes que j'ai soutenus, qui font mon identité, de défendre les droits, les valeurs de sensibilité et de solidarité que j'ai toujours partagées, sont toujours là.
Je fais ce que je voulais faire enfant et je suis qui je veux être. J’en suis content.